Entrainer le cerveau endormi : impact des exercices physiques, du sommeil et de la perte de sommeil sur la mémoire.

Le décryptage de nos experts ...
Cette brève scientifique est présentée par Laurence Kern et Lilian Fautrelle.

Laurence Kern
Mme Laurence KERN, Ph.D. , HDR STAPS et psychologie

  • Docteur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, spécialité Psychologie.
  • Membre des laboratoires de l’Université Paris Nanterre :
    • VCR : Vulnérabilité, Capabilité, Réhabilitation.
    • LINP2-APSA : Laboratoire Interdisciplinaire en Neurosciences, Physiologie et Psychologie : Activité Physique, Santé et Apprentissages.
    • EA 4430 CLIPSYD : Psychologie Clinique, Psychanalyse et Psychologie du Développement.
  • Professeur de l’enseignement supérieur à l’Ecole de Psychologues Praticiens de Lyon.

Lilian Fautrelle
Notre Expert : M Lilian FAUTRELLE, Ph.D. STAPS

  • Docteur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, spécialité « Neurosciences, Biologie et Santé »
  • Maitre de Conférences des universités au département STAPS de l’Institut National Universitaire Jean François Champollion à Rodez
  • Chercheur en neurophysiologie au sein du laboratoire INSERM Toulouse NeuroImaging Center, UMR 1214, Université Paul Sabatier, CHU Purpan, Toulouse.
  • Responsable de la filière de formation STAPS ‘Activités Physiques Adaptées à des fins de Santé’ et de la Licence Professionnelle traitant de la Gestion de la Condition Physique des Intervenants en Situation Hostile à l’INU-Champollion.

Cette brève reprend les principaux résultats et enseignements tirés d’un article paru en octobre 2021 dans la revue Exercise and Sport Sciences Reviews. Marc Roig, et al. Exercising the Sleepy-ing Brain : Exercise, Sleep, and Sleep Loss on Memory. Exerc Sport Sci Rev. 2021 .

Faire de l’exercice physique… Dormir… Voilà deux activités que l’on pourrait facilement opposer. Pourtant, lorsqu’elles sont analysées séparément, ces deux activités présentent un point commun : elles ont toutes deux des effets bénéfiques pour notre mémoire.

En effet, de nombreuses études ont démontré que la pratique d’activités physiques cardiovasculaires à dominante aérobie (comme la course à pied, le vélo, le rameur… pendant plus de 12 minutes consécutives et à allure sous maximale) améliorait notre capacité à stocker des informations factuelles (mémoire déclarative) et des habiletés motrices diverses (mémoire procédurale).

Par ailleurs, le sommeil joue également un rôle significatif sur les performances de la mémoire déclarative et de la mémoire procédurale. Une quantité et une qualité de sommeil suffisante permettent de rendre les informations encodées lors de la journée moins sensibles aux différentes interférences optimisant ainsi leur stockage en mémoire à long terme par notre cerveau.

L’exercice physique et le sommeil étant deux activités radicalement différentes, nous avons longtemps supposé que leurs effets favorables à la mémoire étaient médiés par des mécanismes neurophysiologiques et hormonaux bien distincts et différents. Néanmoins, une étude récente (Mograss, et al 2020) a démontré que faire de l’exercice physique avant de faire une sieste était encore meilleure pour la mémoire que de faire seulement de l’exercice physique ou seulement une sieste. Exercice physique et sommeil pourraient donc fonctionner de concert pour améliorer la mémoire.

Dans l’article que nous vous présentons ici, qui est une revue de littérature, les auteurs étudient l’hypothèse nouvelle selon laquelle l’exercice physique et le sommeil ont des effets synergiques sur la mémoire. Selon ces auteurs, la pratique d’une activité physique pourrait déclencher des mécanismes responsables d’un état cérébral optimal pendant le sommeil pour faciliter la rétention mémoire.

Les informations clés de l’article

Pour comprendre comment le sommeil influe sur la fonction mémorielle, les chercheurs étudient l’architecture de notre sommeil. Il est caractérisé par l’apparition cyclique de plusieurs étapes dites de sommeil précoce ou tardif. Ces différentes phases sont caractérisées par des schémas d’activités neuronales bien particuliers qui reflètent les mécanismes de plasticité synaptique (voir point suivant) dont certain sous-tendent la fonction de mise en mémoire. L’étude de ces différentes ondes cérébrales fournit des informations importantes pour mieux comprendre le rôle que chaque étape du sommeil joue dans la formation des différents types de mémoire.

La neuroplasticité, appelée également plasticité neuronale ou plasticité neurosynaptique, est l’ensemble des activités neurophysiologique et neurochimique permettant à nos réseaux de neurones de se modifier, de se modeler et remodeler, et ce, tout au long de la vie. Ces activités permettent donc une adaptation des réseaux de neurones à l’environnement et assure les modifications des fonctions en conséquence. Ainsi, chaque instant, notre cerveau se modifie en fonction des expériences vécues. Comme il est important de savoir si l’activité physique modifie les aspects du sommeil qui peuvent influencer la qualité de la mémoire, les chercheurs étudient l’impact de celui-ci à la fois :

  1. sur les paramètres des différentes phases du sommeil,
  2. sur les ondes cérébrales caractéristiques présentes dans le cerveau lors des différentes phases du sommeil

Les analyses de la littérature à ce sujet démontrent qu’une seule séance d’exercice physique dans la journée améliore la qualité du sommeil, augmente sa durée et son efficacité. Il a également été démontré que l’exercice physique de la journée modifie l’architecture du sommeil, et notamment allonge la durée des phases impliquées dans le processus de formation de la mémoire.

De plus, l’exercice physique, à la manière d’outils de neurostimulation comme la stimulation magnétique transcrânienne ou acoustique, modifie les profils globaux d’ondes cérébrales à l’intérieur même des phases du sommeil qui sont particulièrement impliquées dans le processus de formation de la mémoire. Ces modulations des ondes neuronales pendant le sommeil sont indépendantes des modifications de la durée ou de la fréquence de survenue de ces phases. L’activité physique fonctionne parfois comme un médicament, ces études démontrent que l’activité physique peut fonctionner aussi comme un neuromodulateur.

Plus particulièrement, une augmentation des ondes neuronales dites lentes suite à un exercice physique diurne a été reportée dans plusieurs études, et particulièrement dans les phases du sommeil impliquées dans la construction de la mémoire. Néanmoins, les effets de la répétition de ces exercices pendant des semaines ou des mois d’entrainement sur l’activité cérébrale pendant le sommeil n’ont encore jamais été étudiés. De même, aucune étude n’a jamais démontré l’impact de l’exercice physique sur les signaux cérébraux lors de certaine phase de sommeil comme le sommeil paradoxal. Il reste donc encore beaucoup à étudier sur le sujet.

cerveau

L’amélioration la plus importante des processus de mémorisation est venue de l’association d’une activité physique cardiovasculaire couplée à une période de sommeil. Dans une première expérience, les chercheurs Rhee et ses collaborateurs (2016) démontrent qu’un exercice physique aérobie1 réalisé 2 heures après une tâche d’apprentissage réduit les effets perturbateurs sur la mémoire de tâches additionnelles réalisées après la tâche d’apprentissage. Cependant, la rétention mémoire ayant été testée 24H après la tâche d’apprentissage, il est impossible de déterminer si la totalité des bénéfices mémoires mesurés provenait de l’exercice physique, de la nuit de sommeil, ou des deux à la fois. Dans une seconde expérience menée par Jo et al. (2018), le protocole reste identique mais la rétention mémoire est testée cette fois-ci 6 heures après la tâche d’apprentissage et ce, en l’absence de sommeil. Les résultats de cette seconde étude démontrent une légère amélioration de la mémoire grâce à la pratique physique, mais nettement moins importante que dans l’étude précédente couplant activité physique ET sommeil. Ainsi, les présents auteurs, dans leur revue, déduisent que l’exercice peut protéger la mémoire procédurale d’interférence indépendamment du sommeil, mais que le sommeil présente un effet super additif permettant de renforcer les effets de l’exercice physique dans le processus de mise en mémoire.

Différents mécanismes physiologiques pourraient expliquer cette interaction entre exercice physique et sommeil pour améliorer la mémoire :

a) Une augmentation persistante de la température corporelle provoquée par l’exercice physique augmente l’activité des ondes lentes neuronales. L’augmentation de ces ondes lentes favoriseraient la consolidation de la mémoire lors du sommeil.

b) L’exercice physique pourrait également booster la fonction mémorielle du sommeil par la modulation du système nerveux autonome. L’exercice physique favorise l’augmentation de la Fréquence Cardiaque, ainsi que l’activité du système nerveux autonome parasympathique, le « freinateur » de l’organisme. Là encore, une augmentation du système parasympathique est couplée pendant le sommeil à une augmentation des ondes neuronales lentes et à l’architecture du sommeil favorisant des phases particulièrement associée à la consolidation de la mémoire déclarative.

c) L’exercice physique favorise les mécanismes de neuroplasticité, en augmentant notamment l’excitabilité cortico-spinale et la concentration du facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), une molécule qui a le pouvoir de moduler et régénérer les réseaux de neurones du cerveau. Là encore, au cours du sommeil, des études sur l’homme et l’animal ont montré que l’augmentation de l’excitabilité cortico-spinale tout comme celle de la concentration en BDNF favorisaient l’augmentation des ondes lentes dans le cerveau pendant le sommeil, et donc favoriseraient le processus de consolidation de la mémoire.

d) L’exercice physique pourrait également améliorer le traitement de la mémoire grâce à la modulation du sommeil par accumulation d’adénosine. L’accumulation de cette molécule dans le cerveau diminue l’activité neuronale, augmente la circulation sanguine, et favorise le déclenchement du sommeil. Dès lors, l’adénosine est progressivement éliminée au cours de la nuit jusqu’à l’éveil. Une accumulation d’adénosine en réponse à la pratique d’une activité physique favorise donc la modulation de la structure du sommeil au profit notamment des phases profitables à l’encodage mémoire.

e) Enfin, un dernier mécanisme impliqué dans l’action synergique de l’exercice physique et du sommeil au profit de la mémoire est l’augmentation de la concentration de plusieurs cytokines et hormones modulateurs du sommeil. En effet, il existe de nombreuses preuves que l’expression des protéines cytokines peut changer suite à un exercice physique aigu ou chronique. La sécrétion de ces cytokines est extrêmement favorable à l’allongement des phases de sommeil propice aux processus de mémoire et à l’activité des ondes neuronales lentes.

Conclusion

Il existe clairement un effet synergique entre l’exercice physique et le sommeil pour permettre d’améliorer sa mémoire.

Néanmoins, les résultats des ces études doivent être interprétés avec prudence : tous les paradigmes expérimentaux utilisés à ce jour mettent en œuvre des exercices physiques aigus, et à dominance cardiovasculaire aérobie.

Les autres types d’exercices ainsi que l’aspect chronique de la pratique restent à être étudié en intégralité. De plus, tous les types de mémoires ne répondent pas de la même manière aux effets de l’exercice physique et du sommeil. En effet, ils varient avec les facteurs individuels (tels que l’âge, le genre, l’état de santé), avec les facteurs concernant l’activité physique (fréquence, intensité, durée, type, ...) et les facteurs du sommeil en eux-mêmes (sieste diurne, sommeil nocturne complet, …).

Les notions clés à retenir :

  • L'activité physique couplée au sommeil peuvent avoir des effets synergiques sur la mémoire déclarative et procédurale.
  • L’activité physique influence les processus cérébraux impliqués dans le traitement de la mémoire pendant le sommeil.
  • L'activité physique protège la mémoire de la privation de sommeil aiguë mais pas de la privation de sommeil chronique dans les études animales.
  • On ne sait pas aujourd’hui si l'activité physique peut protéger la mémoire des effets de la perte de sommeil chez les humains.

Source

1. Exercice d’endurance encore appelé exercice cardio qui implique une augmentation de la consommation d'oxygène par le corps.

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